"Le livre n'a pas disparu, reconnaissons-le. Cependant, disons que tout ce qui dans l'histoire de notre culture et dans l'histoire tout court ne cesse de destiner l'écriture non pas au livre mais à l'absence de livre, n'a cessé d'annoncer, en le préparant, l'ébranlement. Il y aura encore des livres et, ce qui est pis, de beaux livres. Mais l'écriture murale, ce mode qui n'est ni d'inscription ni d'élocution, les tracts distribués hâtivement dans la rue et qui sont la manifestation de la hâte de la rue, les affiches qui nont pas besoin d'être lues mais qui sont là comme défi à toute loi, les mots de désordre, les paroles hors discours qui scandent les pas, les cris politiques - et des bulletins qui dérange, appelle, menace et finalement questionne sans attendre de réponse, sans se reposer dans une certitude, jamais nous ne l'enfermerons dans un livre qui même ouvert tend à la clôture, forme raffinée de la repression. [... ] Plus de livre, plus jamais de livre, aussi longtemps que nous serons en rapport avec l'ébranlement de la rupture. Tracts, affiches, bulletins, paroles de rues ou infinies, ce n'est pas par souci d'efficacité qu'ils s'imposent. [... ] Comme la parole sur les murs, ils s'écrivent dans l'insécurité, sont reçus sous la menace, portent eux-mêmes le danger, puis passent avec le passant qui les transmet, les perd ou les oublie."V
Maurice Blanchot. Tracts, affiches, bulletins,
Comité, bulletin publié par le Comité d'action étudiants-écrivains
au service du Mouvement (Octobre 1968).
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